037…

Toute l’équipe de la base d’Aodhan Loup Blanc était réunie dans la salle des Renseignements stratégiques, les yeux rivés sur l’écran principal, tandis que Vincent McLeod effectuait les derniers calculs qui indiqueraient leur cible aux deux missiles d’Alert Bay. Cédric était juste derrière lui, les bras croisés. Il n’était pas sans savoir qu’il essuierait les critiques de la plupart des gouvernements pour avoir lancé des projectiles aussi puissants sans les prévenir, même si c’était pour sauver la planète. Le directeur international considérait que c’était une mesure d’urgence qui ne devait pas être analysée par des dizaines de comités. Etait-ce pour son indépendance d’esprit que Mithri l’avait choisi ?

— Tout se passe bien, annonça la voix de Christopher Shanks. Les systèmes de guidage continuent de bien répondre.

Sans que personne s’en aperçoive, Océane et Cindy se glissèrent dans la pièce, après avoir persuadé Cassiopée que si elles étaient en train de vivre leurs dernières heures, elles ne voulaient pas être seules. Les deux femmes demeurèrent à l’écart, derrière les membres de la sécurité et les nouveaux agents. Glenn Hudson les aperçut alors du coin de l’œil. Sans alarmer personne, il se faufila entre ses hommes pour aller à leur rencontre.

— Seuls les membres de l’Agence sont admis ici, leur dit-il à voix basse.

— Les agents fantômes en font partie, à ce que je sache, riposta Océane.

— Seriez-vous insensible au point de nous laisser nous morfondre dans le corridor ? ajouta Cindy.

Hudson allait répondre par l’affirmative, lorsqu’il capta le geste de Cédric lui demandant de laisser tomber. Obéissant, le chef de la sécurité reprit son poste au milieu de son groupe.

— Ça ne veut pas dire qu’on a le droit de faire la fête, chuchota Océane à Cindy.

— La fête, ce n’est pas après une victoire, habituellement ?

— Chut…

— Plus que cinq minutes, indiqua Vincent, profondément concentré sur son travail.

— J’ai déjà arrêté de respirer il y a vingt minutes, avoua Shanks.

— Nous avons tout vérifié cent fois. Tout ira très bien. J’enclenche le compte à rebours.

Les chiffres géants qui apparurent sur un petit écran au-dessus du plus grand commencèrent à égrener les secondes. Tous étaient nerveux, mais tâchaient de ne pas le montrer. Ils gardaient un silence respectueux pour ne pas distraire Vincent. Même les jeunes recrues n’avaient pas envie de faire de plaisanteries.

— Le satellite est prêt à filmer l’impact, signala Sigtryg.

— C’est à cela qu’il doit servir, monsieur Loup Blanc, lui fit remarquer Cédric sans détacher son regard de l’écran.

L’Amérindien demeura muet. Il pensait à tous les disciples de Cael réunis à Saint-Bruno, qui priaient depuis plusieurs heures déjà. C’est au milieu d’eux qu’il aurait dû se trouver, pas derrière une foule d’ordinateurs dans une base souterraine.

Cassiopée n’avait pas émis un seul son depuis le début de cette opération, à la demande de Vincent, mais elle demeurait aux aguets, prête à intervenir au moindre problème. Par mesure de prudence, l’informaticien lui avait ordonné de procéder de son côté aux calculs des coordonnées qu’ils avaient programmées dans l’ordinateur de bord des missiles. Plus rapide que les humains, elle pourrait intervenir en cas de pépin.

— Nous avons un visuel, indiqua Pascalina.

— A l’écran, ordonna Cédric.

Le satellite leur montra pour la première fois le visage de leur ennemi : un énorme rocher qui avançait en tournant très lentement sur lui-même. C’était justement cette rotation qui risquait de leur donner du fil à retordre.

— On dirait une grosse cacahuète, remarqua Shane.

Mélissa, qui avait participé à l’opération d’urgence, était toute crispée sur sa chaise, à côté d’Alexa. Elle avait choisi de s’asseoir le plus loin possible de Vincent pour ne pas lui communiquer sa nervosité. Même en refaisant sans cesse les calculs jusqu’au lancement, il y avait toujours une mince possibilité que quelque chose dans l’espace vienne perturber la course de l’astéroïde.

Vincent se mit à compter à rebours sans se rendre compte qu’il créait encore plus de tension dans la grande salle.

— Dix… neuf… huit… sept… six… cinq… quatre… trois… deux… un…

Cindy sauta dans les bras d’Océane.

— Les moteurs du premier étage sont allumés, confirma Shanks.

Tout le monde retenait son souffle.

— Ils décollent, déclara Shanks. Notre base entière en tremble. Je vous envoie les images des caméras extérieures.

Tandis qu’à la gauche de l’écran principal, ils pouvaient voir l’approche de l’astéroïde, à sa droite, ils virent sortir de terre les deux missiles qui représentaient leur seule chance de ne pas être anéantis. Au bout d’une minute, alors qu’ils étaient déjà dans la thermosphère, ils éjectèrent une première section, désormais inutile, car vidée de son propergol. Au moment d’entrer dans l’exosphère, une minute plus tard, une deuxième section se détacha, puis une troisième.

Cédric vit les épaules de Vincent redescendre de quelques centimètres, ce qui lui confirma que tout se passait comme prévu.

— Les missiles ont atteint la vitesse de huit kilomètres à la seconde, indiqua l’informaticien. La dernière section contient les charges. Il n’y a plus rien pour ralentir les fusées, puisque les collisions de particules sont très rares à cette altitude. Pour ceux que ça intéresse, nous avons calculé la trajectoire des missiles de façon à passer entre les centaines de satellites en orbite autour de la Terre.

— Dans combien de temps feront-ils exploser l’astéroïde ? voulut savoir Cindy.

Ne reconnaissant pas sa voix, tous se retournèrent vers elle.

— Quoi ? se défendit-elle. Ce n’est pas une bonne question ?

— Mais qu’est-ce que tu fais ici ? s’étonna l’informaticien.

— J’ai demandé à Océlus de me ramener auprès des gens qui comptent vraiment dans ma vie.

— Réponds à sa question, Vincent, le pressa Shane.

— L’impact aura lieu dans approximativement quinze heures.

— Quinze heures ! s’exclamèrent en chœur les membres de la sécurité et les agents de l’ANGE.

— Vous vouliez peut-être que nous attendions qu’il soit presque sur nous pour le réduire en miettes ?

— Moi, j’ai une question, s’en mêla Océane. Si j’ai bien suivi vos calculs, les missiles frapperont cet objet céleste alors qu’il n’aura pas encore atteint le voisinage de la Lune ?

— C’est la distance minimale pour le faire dévier sans danger, assura Vincent.

— Qu’arrivera-t-il s’il percute la Lune ?

— Nous avons intégré cette problématique dans nos calculs et Absinthium ne la touchera pas. Vous pouvez tous aller vous reposer et revenir demain matin.

— Et toi ?

— Moi, je veille au grain, évidement.

Les Renseignements stratégiques se vidèrent petit à petit, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que les deux techniciens, Vincent et Mélissa.

— Est-ce que tu as peur ? lui demanda la jeune femme.

— Juste un peu, affirma Vincent. Il peut se passer bien des choses en quinze heures.

Cindy aurait bien voulu rester pour bavarder avec le jeune savant, mais Océane l’avait poussée dans le couloir avec les autres. Sans se consulter, les directeurs et les agents se dirigèrent vers la salle de Formation, où Andromède était en train de danser. Ils s’immobilisèrent tous à l’entrée, intrigués.

— Maman, qu’est-ce que tu fais ? la questionna Océane.

— Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas pour faire tomber la pluie, affirma l’excentrique millionnaire.

— C’est pour te détendre ou est-ce que ces simagrées ont un sens ?

— J’ai appris ce rituel auprès d’un grand eubage. Il servait à assurer la victoire des armées sur leurs ennemis.

— Il s’agit d’un astéroïde.

— C’est pareil, ma chérie. Nous avons besoin de toute l’aide qu’on peut trouver.

— Va la rejoindre, si tu veux, fit Océane à Aodhan, avec un air taquin. Ça ressemble aux danses de ton peuple.

— Je vois que tu n’as pas perdu ton sens de l’humour après tout ce temps à Jérusalem, répliqua l’Amérindien.

— On appelle ça du cynisme, le corrigea Andromède en continuant d’exécuter ses pirouettes. Elle tient cette tendance de moi.

Cédric ignora les cabrioles de son ancienne maîtresse et alla plutôt s’entretenir avec la nouvelle venue. Cindy le regarda s’approcher sans appréhension.

— Je suis contente de te revoir, Cédric, déclara-t-elle en le regardant dans les yeux. Est-ce que je pourrais ravoir ma lettre de démission ? J’aimerais la déchirer.

— Parce que tu crois que c’est aussi facile que ça ?

— Quand on veut, on peut.

— Il y a une période de probation pour les agents qui veulent réintégrer les rangs de l’ANGE après avoir quitté l’organisation pour des raisons personnelles.

— Et pour ceux qui ont accepté des missions à l’étranger ? voulut savoir Océane.

— C’est exactement la même chose. Pendant six mois, vous serez considérées comme des recrues et le moindre faux pas entraînera votre expulsion.

— Moi, ça me va, affirma Cindy.

Océane n’avait pas vraiment envie de perdre ses dix ans d’ancienneté, mais si elle voulait poursuivre sa carrière d’espionne, elle n’avait pas vraiment le choix.

— Elle accepte, déclara Aodhan.

L’Amérindien poursuivit sa route jusqu’à la cafetière, Océane derrière lui.

— Qui t’a donné le droit de répondre à ma place ? se fâcha-t-elle.

— Ce n’est plus ton père qui dirige cette base, c’est moi.

— Je pourrais fort bien le suivre à Genève, tu sais.

— Sauf que moi, j’ai besoin de toi ici.

Il lui tendit une tasse de café, qu’elle fut contrainte d’accepter.

— Tu n’as aucune idée de ce que j’endure avec l’équipage de la patrouille du cosmos, ajouta-t-il en la faisant sourire. En fait, si on ne me donne pas bientôt au moins un bon agent, je vais démissionner, moi aussi.

— C’est sérieux ?

Il hocha doucement la tête pour dire oui.

— Merci, Aodhan…

Un peu plus loin, Shane et Jonah avaient attendu que Cédric s’assoie à une table avec Alexa pour pouvoir s’approcher de Cindy, qui portait les vêtements noir et blanc trop grands qu’Océane lui avait prêtés.

— Nous voulions te dire que nous sommes vraiment désolés d’avoir été grossiers envers toi lors de notre rencontre à l’hôtel, quand tu étais avec Cael, s’excusa Jonah.

— Je n’y pensais même plus, les rassura Cindy.

— Nous aimerions seulement être certains que notre bévue n’aura pas d’incidences sur nos futures relations de travail.

— Je serai gentille avec vous, mais nos relations n’iront pas plus loin.

Cindy poursuivit sa route et alla s’installer à la même table que Cédric et sa nouvelle maîtresse.

— Je ne sais pas qui vous êtes, fit-elle à l’intention d’Alexa, mais je voulais vous dire que je vous trouve vraiment très belle.

— Comme c’est gentil, s’attendrit la Brasskins.

— Etes-vous une agente ou une directrice de l’ANGE ?

— Alexa est une collaboratrice et elle m’accompagnera à Genève, lorsque ce sera possible.

— C’est un très joli prénom.

Cédric regarda Alexa dans les yeux.

— Avant que tu me le demandes, la réponse est non, lui dit-il. Nous ne pouvons pas l’emmener en Suisse.

Les deux femmes rirent de bon cœur, mais le visage de Cédric demeura sérieux.

— Cassiopée, où sont le docteur Lawson et Damalis ? s’inquiéta-t-il soudain.

— ILS SONT À LA SECTION MEDICALE.

— Demandez à monsieur Hudson d’aller s’assurer qu’ils vont bien.

— CE NE SERA PAS NECESSAIRE, MONSIEUR ORLEANS. JE PEUX VOUS AFFIRMER QU’ILS NE RISQUENT RIEN.

— Dans ce cas, je vais y aller moi-même.

Alexa agrippa le directeur par le bras et le força à rester assis.

— Lis entre les lignes, murmura-t-elle à son oreille.

Cindy promena son regard sur tous ces gens qui lui avaient beaucoup manqué. Océlus avait raison : il était important d’écouter son cœur au lieu de se laisser influencer par tout le monde.

 

Absinthium
titlepage.xhtml
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html